LE COUCOU
Madeleine Ruh
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Copyright (c) 2013 by Madeleine Ruh
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2012
Des anciens élèves se retrouvent à une soirée de promo qui ne se déroule pas comme prévu, un homme rend visite à son père alité, un jeune homosexuel papa depuis peu reçoit la visite de ses beaux-parents, une petite fille adoptée prend une place incroyable dans sa nouvelle famille, une mère fait une grande fête et perd un peu la tête, Dieu accueille un bon vivant au paradis, une jeune femme s’étonne d’un étrange bouton sur sa lèvre...
Tranches de vies intenses, où le drame n’est jamais loin du rire. Un recueil de nouvelles à la plume mordante.
L’auteur, grande voyageuse, a exercé des fonctions à l’international pour des maisons de luxe, et a vécu à Paris et aux Etats-Unis.
Dieu m’avait foutu un ange à plein temps
La soirée de promo, vingt ans déjà
Le bouton sur la lèvre
Je suis libre comme l’air
Les étoiles filantes
Le coucou
Un peintre à succès
Il est à Berg
Le vieux qui avait disparu
Un héros oublié
Petites confrontations
Little apocalypse
Le curry trop épicé
Les beaux parents improbables
Le cri
Elvis et Madonna à Mantes un samedi soir
Une passagère encombrante
Des bleus dans le dos
Dieu m’avait foutu un ange à plein temps
J’ai soixante ans, tu peux pas imaginer l’effet que ça me fait. Ben oui, je le reconnais aisément, les femmes n’ont plus le même regard quand elles me voient. Dans ce restau branché ou ailleurs, en fait elles ne me regardent plus ! Non, c’est pas ça, ce n’est pas la peur de ne plus bander, encore que figure-toi qu’avec l’âge, on a des rapports aussi qualitatif, mais moins fréquents.
J’avoue, j’aime bien charmer...
J’ai fait un cauchemar l’autre jour. J’arrivais au paradis. Et après la porte et toute la procédure pour rentrer, à remplir des papiers, signer, recevoir un tampon sur la main gauche, et porter un petit ruban orange sur la droite, Dieu me prenait à part. Il était chaleureux et gentil, mais il me faisait comprendre que j’étais un gars pas facile à gérer ; alors il avait l’immense honneur de m’annoncer que je serai suivi à plein temps par un ange gardien. Un coach, un flic, ce qu’on veut, mais qui me surveillerait au final, pour éviter toute dérive de comportements, pour éviter le grand bazar de ma vie comme sur terre. Ca te fait rire? Marrant, oui, je te l’accorde, sacré rêve ! Je crois que je tiens le début de mon prochain roman. Tu comprends, je peux pas faire une biographie, c’est bien trop narcissique, cela frôle le ridicule vraiment. En même temps, mes parents ne sont plus ici bas, et j’aimerais bien immortaliser ce qu’ils m’ont légué. Tu sais que j’aurais pu être rentier? Manque de chance... Les allemands allaient rentrer en France, et trois jours avant leur arrivée prévue de par chez nous, mon grand-père a décidé de tout vendre, pour ne pas s’emmerder avec des biens, et des terrains en cette période d’incertitudes. Ce jour, on l’appelait J-3 dans la famille. Presque le jour le plus long, il a tout bradé, tout, à prix cassés. Ensuite? Il a vécu tranquillement dans le Sud de la France jusqu’à la fin de ses jours. Il a survécu quarante ans à ce jour désastreux, le jour où tous les châteaux, toutes les forêts ont disparu de l’héritage familial, rayés de la carte. Parfois, je me demande ce qui serait arrivé s’il n’avait pas bradé la fortune familiale.
Oh, moi, cela ne m’a pas empêché de vivre, loin de là. Ca libère d’une certaine manière, vous vous réinventez quand vous partez de rien. J’ai quitté ma famille à seize ans. Mon père était héroïnomane, et docteur militaire de carrière. Il avait fait l’Indochine, l’Asie, l’Afrique. Perpétuellement en voyage jusqu’à mes dix ans. Un type très intelligent, avec de vraies convictions. Il faisait illusion le jour, mais le soir, il se faisait lui même ses injections, du sur mesure, et il devenait odieux, ou absolument absent. Je n’ai pas vraiment connu mon père. Je n’ai jamais eu de ma vie une discussion construite et personnelle avec mon père, aussi incroyable que cela puisse paraitre. Cela dépendait des soirs, mais le plus souvent, il planait, il était littéralement parti sur une autre planète. Comment ma mère a résisté? Fondamentalement, elle l’aimait je crois, un amour spirituel, intellectuel, ils avaient les mêmes lectures, ils partageaient les mêmes auteurs, le même amour de l’art. Elle l’avait rencontré la semaine où le paternel de mon père avait tout vendu. Il partait comme elle sur la route, un baluchon sur l’épaule, elle en petite robe et la voiture loin derrière déjà abandonnée sur le bas côté. Quand elle l’avait rencontré, elle était encore accompagnée de ses parents. L’amour fou, en quelques jours. Elle souffrait ma mère, à cause de lui, de son égoïsme, de ses aventures. Il aimait les femmes, ah ca, c’est dans les gènes je pense, hahaha !
A la fin de sa vie, je suis revenu dire au revoir à ma mère.
J’ai eu une longue période de séparation avant, où la famille m’importait peu. Je ne ressentais pas le besoin de leur parler, ni de demander de leurs nouvelles. Dans le jardin, ma mère avait fait pousser des rosiers. Elle n’arrêtait pas avec la fièvre de demander qui s’en occupait, alors j’ai menti, je lui ai dit que le jardinier passait, alors qu’il était décédé depuis bien longtemps. J’ai revu mon con de frère, l’artiste! Il est plus âgé que moi, c’est la dernière fois que je l’ai vu alors, et je ne pense plus le revoir maintenant qu’elle a disparu. Le lien était ténu. Et l’autre, il est écrivain et journaliste, dans un journal régional. Non, on ne se parle plus, on n’a rien, absolument rien à se dire, pourquoi se forcer? Je suis passé une semaine la voir, à la fin, je tournais en rond, je bouillais intérieurement, je ne supportais plus les conversations décousues et l’infirmière revêche, j’avais besoin de bouger. J’ai eu la nouvelle de sa mort quelques heures après être arrivé à Paris.
Ah la vie! Pour moi, c’est l’amour, tu es d’accord non? Je ne suis pas très stable en amour, j’ai besoin de liberté, et je m’ennuie très vite. Faut que ça bouge, j’aime le changement, j’ai la routine en horreur. Mon espace vital? Il est à moi, et j’en fixe les règles.
Je t’ai raconté cette histoire de ma première femme? On avait eu deux filles. Très mignonnes. Je n’aimais plus la mère. On allait se séparer. J’avais vingt-cinq ans, et elle vingt-trois. J’ai finalement décidé de les accompagner en Bretagne, pour les dernières vacances ensemble. J’avais un petite Peugeot, et elle avait pris la Deux Chevaux familiale. J’ai retrouvé les trois corps au petit matin, sur la route. A quelques kilomètres de la maison de vacances. Elles avaient eu un accident pendant la nuit. Oh ca va, tu sais, tu peux lâcher mes mains, j’ai eu le temps de faire le deuil depuis. Oui, c’est sûr, ca été un choc pour moi, une cassure dans ma vie...Ca explique sans doute mon
côté saltimbanque.
J’ai eu cinq femmes. La deuxième était sympa, c’est la mère de mon fils qui vit en Californie et de ma fille qui est basée à Londres. L’avant dernière était une salope, j’ai pas eu d’enfants avec celle là, mais c’est elle qui m’a demandé le max de blé ! Elle a été aidé par l’un des ses anciens amants, qui a bavé sur mon compte et lui a dit sur l’oreiller que j’avais touché des stock options, cela m’a couté bonbon... Enfin, c’est la règle du jeu, statut social, et tout le tralala. Les gens ont tellement peur du regard des autres, c’est aberrant, ils s’enferment eux mêmes, se mettent des chaines. Je refuse de jouer au golf, je ne vais à aucune chasse. J’ai un ami qui est un grand tireur, et bien son hôtesse lui dit “Pierre, vous nous tirez mille quatre cents canards, je compte sur vous, nous n’allons pas laisser ce malotru de voisin avoir le meilleur score de la saison, c’est une question d’honneur.” Du grand n’importe quoi, c’est mon impression en tout cas. On est au théâtre !
J’aime bien mon appartement sous les toits, j’ai un bureau qui donne sur les toits de Paris, c’est bien pour mes romans, cela m’inspire. As-tu remarqué la très jolie lumière des matins parisiens? C’est assez remarquable. Et personne n’en parle, c’est étrange. Les gens sont blasés, tu ne trouves pas? Ils ne voient plus la magie dans le quotidien.
Tu sais quoi, j’ai un grand rêve. Je finis ma mission pour ma formidable grande entreprise. Dans deux ans, je prends le large, je retrouve ma liberté, et là, je pars à LA. Oui, Los Angeles, comme ça, je suis près des producteurs, j’écris un livre, puis deux, des scénarii... Et j’avance dans la vie. J’ai mon fils là-bas, il serait ravi de me voir, ils ont une grande maison avec piscine. Oui, j’irais bien là-bas. Faire la fête tous les soirs, rencontrer des jolies filles, ....
Tu crois que je ne vais rien faire de ce que je dis? Mais qu’est ce qui peut bien te faire penser cela? J’y crois, je t’ai parlé de mon roman en cours. C’est l’histoire d’un flic bien français, il gère les syndicats, il couche avec une fille, mais à la personnalité assez complexe. Elle s’en fout de la baise...Ce flic à découvert un complot. J’ai trouvé une idée, il reçoit un pied par la poste, mal coupé, avec la chaire déchiquetée, une horreur, et sur le pied, devine quoi, un slogan basque.
Je vais mélanger l’idée avec Le Petite Prince, j’adore ce livre, je vais essayer de réutiliser le dialogue du renard et de l’enfant. Je peux me le passer en boucle, quand je déprime, ce qui est rare.
Et toi, on en est à notre deuxième café, tu en es où? Ca te plait ton job? Je suis trop bavard, c’est dingue!
Excuse moi, vraiment passer le cap de la soixantaine me mine. Elle est mignonne la petite serveuse, tu ne trouves pas?
02 Sept 2011
La soirée de promo, vingt ans déjà