My dear fellow, I shall be here in September, and very pleased to see you again; all friendly greetings.
Jean Verdenal
1) I have read The Mystery of the Charity of Joan of Arc. I particularly liked Madame Gervaise’s account of the Passion (Bethlehem and Jerusalem, life beginning at Bethlehem and ending in Jerusalem). J. V.
2) Try, if possible, to hear something by Wagner in Munich. I went the other day to the Götterdämmerung, conducted by Nikisch; the end must be one of the highest points ever reached by man.
3) Another thing I forgot to tell you is that, the previous week, I had the pleasure of going several times with Prichard to drink mineral water and eat French beans, in various restaurants. A fine, strong nature, but a little stiff until one gets to know him.
FROM Alain-Fournier1
MS Houghton
25 July 1911
2 rue Cassini [Paris]
Mon cher ami,
Combien je vous suis reconnaissant des renseignements que vous avez pris la peine de m’envoyer sur cette littérature anglaise que je connais si superficiellement et que je désirerais tant connaître!
Je vais me faire acheter, les uns après les autres, tous les livres que vous m’avez indiqués. Mais quand vais-je pouvoir les lire?
En ce moment j’achève le livre de Ford2 que vous m’avez donné et où je trouve tant de fièvre et tant de pathétique beauté.
Durant quelques jours de vacances que j’ai pris à la campagne, j’ai achevé la lecture facile de Catriona de Stevenson. Je trouve là les qualités les plus françaises de subtilité, de grâce et d’héroisme, le talent de romancier le plus fin et le plus précis mis au service des aventures le plus délibérément invraisemblables …
Je suis aussi en train de lire le Typhon de Conrad que vous m’avez indiqué, et je vais acheter Youth.3
Je n’ai que peu de temps à vous consacrer aujourd’hui. Je veux seulement m’excuser de mon retard et remettre à plus tard une lettre plus importante. Savez-vous que le jeune homme à qui je donnais des leçons de philosophie pour le bachot a été reçu avec ‘mention’ grace à des notes de philos. renversantes. 17/20 à l’oral. Le professeur l’a gardé près d’une demi-heure et lui a dit que depuis trois ans il n’avait pas mis une note aussi forte!
Voyez que, si je suis bon chroniqueur, je n’aurais pas été non plus trop mauvais professeur. N’importe, je crois que je ne me risquerais plus à vous donner des leçons de Philosophie. Tout au plus de français, si vous voulez, mais vous n’en avez guère besoin, si j’en juge par votre lettre.
Ce que vous me dites des Allemands m’intéresse infiniment. Moi qui étais internationaliste il y a quatre ou cinq ans, je partirais aujourd’hui bien volontiers contre eux. Et je crois que la majorité des Français est comme moi.
J’ai entendu dire déjà que leur architecture était parfois intéressante.
Je suis allé porter vos paquets de livres rue St Jacques, mais vous étiez déjà parti. Je suivrai vos instructions sur ce point, car, hélas, je ne serai pas à Paris au commencement de Septembre. Je pars le 26 août à Mirande (Gers) faire une période de manoeuvres de vingt-quatre jours.
Ne manquez pas de me tenir au courant de tout ce qui vous arrive et de tout ce qui vous intéresse et croyez-moi
Votre bien sympathiquement dévoué
Alain-Fournier
PS Lire quelque chose de moi dans la Nouvelle Revue Française de 1er Septembre.4
[On envelope] Un de mes amis désire savoir dans quelles parties de l’Allemagne on parle l’allemand le plus pur. Pourriez-vous le renseigner? Il désirerait résider dans la banlieue d’une ville agréable. A. F.5
1–Henri-Alban Fournier (1886–1914): author, under the pseudonym Alain-Fournier, of Le Grand Meaulnes (1913). He tutored TSE in French language and literature, and made him recite passages from the classics. Fournier shared with his pupil his delight in Gide, Péguy Stendhal, Marivaux, and the novels of Dostoevsky in French translation. (On 11 Apr. 1911, TSE saw the first dramatisation of The Brothers Karamazov, adapted by Jacques Copeau and Jean Croué, at the Théâtre des Arts: see Nancy Hargrove, ‘T. S. Eliot and the Parisian Theatre World, 1910–11’, South Atlantic Review 66: 4, Autumn 2001.) TSE would remember Fournier’s ‘exquisite refinement, quiet humour and his great personal charm’: see Robert Gibson, The Quest of Alain-Fournier (1953).
2–Possibly Ford Madox Ford’s Ladies Whose Bright Eyes: A Romance (1911), which TSE later recommended to William Turner Levy as a ‘treat in store’ (Affectionately T. S. Eliot, 1968, 136), although the novelist did not change his name from Hueffer to Ford until 1919.
3–Igor Stravinsky recorded TSE saying in his later years that Youth and ‘The End of the Tether’ were ‘the finest stories of their kind I know’ (Themes and Conclusions [1972], 71).
4–‘Portrait’, NRF 3: 33 (1 Sept. 1911) – the last of Fournier’s short stories – is a brief memoir of a school acquaintance who came to a tragic end.
5–Translation: My dear friend, I am most grateful to you for the information you have taken the trouble to send me about English literature, a subject with which I am very superficially acquainted and that I would so much like to know more about.
I am going to order, in turn, all the books you mention. But when shall I be able to read them?
At the moment, I am finishing the book by Ford you gave me, and in which I find so much feverish emotion and heart-rending beauty.
During a few days’ holiday in the country I finished Stevenson’s Catriona, an easy book to read. I find in it the eminently French qualities of subtlety, grace and heroic feeling, together with the most delicate novelist’s gift, put at the service of the most deliberately incredible adventures …
I am also busy reading Typhoon by Conrad, which you mentioned to me, and I am going to buy Youth.
I have only a little time to spare today. I merely wish to apologise for my delay in replying, while postponing the writing of a more substantial letter until later.
Would you believe it – the young man I was coaching in philosophy for the baccalauréat has passed with distinction thanks to some staggering philosophy marks? Seventeen out of twenty for the oral. The examiner kept him talking for half an hour and said he had not given anyone such a good mark for the last three years!
So you see, I may be a good story-teller, but I would not have been too bad a teacher either. Even so, I don’t think I would ever again venture to give you philosophy lessons. French lessons, at a pinch, if you like, but, to judge by your letter, you hardly need any.
I am greatly interested by what you say about the Germans. Although I was an internationalist only four or five years ago, I would now very willingly march against them. And I think the majority of Frenchmen are like me.
I have been told that German architecture is not without interest.
I took your parcels of books to the rue Saint-Jacques, but you had already left. Tell me what I should do about them because, unfortunately, I shall not be in Paris at the beginning of September. I am leaving on 26 August for Mirande (Gers) to take part in manoeuvres lasting twenty-four days.
Don’t fail to keep me informed of everything that happens to you or interests you, and believe me. Yours most truly, Alain-Fournier
PS You can read something by me in La Nouvelle Revue Française of 1 September.
[On envelope] One of my friends would like to know in which parts of Germany they speak the purest German. Could you tell him? He would like to stay on the outskirts of some pleasant town. A. F.
FROM Jean Verdenal
MS Houghton
Mardi 171 Octobre [1911]
[Paris]
Ne croyez pas que je vous oublie. Mais pour quelques semaines encore je travaille douze heures par jour. Sans grand espoir, je passe les diverses épreuves à quelque faible distance de ce qu’il faudrait pour réussir; je m’entends chaque jour répéter que je suis trop jeune. Je continue avec la vitesse acquise, assez fatigué mais excité heureusement comm
e il convient.
Excusez ma hâte à vous quitter. Votre lettre m’a fait plaisir; nous causerons un autre jour.
Cordialement je vous envoie mille choses affectueuses.
J. Verdenal
PS J’ai quelquefois déjeuné avec Prichard qui me semble engagé sur une mauvaise voie – ‘artificielle’ dirais-je – à propos de la morale (?)2
1–Appears to be misdated ‘18 Octobre’. Tuesday was the 17th.
2–Translation: Don’t think I have forgotten you. But for a few more weeks I shall be working twelve hours a day. With no great hopes, I am sitting the various parts of the examination a little below the level required for success; every day I tell myself I am too young. I am maintaining the momentum, exhausted but appropriately exhilarated by the tension.
Excuse my haste in leaving you. I was pleased to have your letter; we will talk together some other time. Cordially, J. Verdenal
PS I have lunched occasionally with Prichard, who seems to me to be on the wrong course – an ‘artificial’ course, I should say, in relation to morality(?).
1912
FROM Jean Verdenal
MS Houghton
Lundi 5 Février 1912
151 bis [rue St Jacques, Paris]
Cher ami,
L’abrutissement de ces derniers mois de galère m’a laissé bien paresseux. Depuis un mois mon concours est fini; suis nommé Interne provisoire et devrai recommencer le métier l’été prochain et l’automne. Zut. Enfin c’est un échelon. Mais recommencer encore à être asservi aux mêmes chinoiseries creuses que cet été, refréner toute émotion et toute, si petite fût-elle, lueur d’intelligence!
N’y pensons plus. Après ma dernière épreuve quelques semaines de vacances étaient imposées – repos béat en province dans la neutralité d’une bonne nourriture et de promenades réglées, avec le débouché sentimental de la vie de famille. Depuis quinze jours je suis à Paris et peu à peu reprends contact avec la vie, à tâtons, comme le conducteur de tramway raccroche le trolley au fil électrique. – Je ne sais trop à quoi me raccrocher – peu d’amis (mon meilleur ami est en voyage), pas de relations les ayant toutes plaquées volontairement depuis plusieurs mois, plus d’habitudes pour remplir le temps intelligemment, et la pluie tombe. Je me rabats sur mes bouquins – avec méfiance cependant – c’est très artificiel. Je sens de vagues nostalgies, et je mordrais facilement à n’importe quoi. Et ce qu’il faut avant tout éviter, c’est de faire exprès la course à un idéal artificiel. La musique va plus directement au fond de moi-même et j’en entends assez ces joursci (toujours Wagner surtout). Je commence à me reconnaître dans la Tétralogie. Chaque fois le drame s’éclaire et les passages obscurs prennent une signification. Tristan et Y., du premier coup vous émeuvent atrocement, et vous laissent aplati d’extase, avec une soif d’y revenir. Mais je bafouille, tout cela est confus et difficile, et impossible à raconter, nécessairement (sans cela on n’aurait pas éprouvé le besoin de le dire en musique). Tout de même, je serais heureux de savoir que vous entendez du Wagner vous aussi en Amérique, ainsi que du Franck si vous en avez l’occasion. C’est ce qui m’intéresse le plus pour le moment.
Je vois quelquefois Prichard, pour déjeuner dans un restaurant végétarien qui a l’air d’une boutique (c’en est une). On y mange des choses aux noms étranges comme ceux d’une religion inconnue; les initiés commandent sans la moindre gêne ‘une protose aux poivrons’, un ‘nuttolène’. Ces noms de chimie organique répondent à des choses qui simulent la viande sans en être, comme il y a aussi des bouteilles de jus de raisin non fermenté simulant le vin. Je déteste ce genre de choses. Les végétariens sont des êtres dignes de louanges; on voit des habitués, des vieilles filles avant tout, des étudiantes étrangères, des préparateurs de quelque chose dans une faculté, des hyperboréens – ils ont la conscience d’accomplir un rite en mangeant leur lait caillé Bulgare; ce sont des convaincus qui démontrent aux autres qu’ ‘on peut fort bien se passer de viande’. C’est merveilleux de pouvoir s’emballer pour de semblables choses et cela dénote une grande âme. Ce bon Prichard raconte un peu toujours la même chose; cet homme qui prêche la vie et l’action est un des êtres les plus figés que je sache – parfois il dégage un peu d’ennui. Et cependant j’aime sa sincérité, son sens des verités vitales, sa bonté, quoique parfois appliquée à des choses inutiles (y a-t-il des choses inutiles?). Quand je parle plus d’une heure avec lui, j’ai un mal de tête. Ne trouvez-vous pas qu’il y a toujours une certaine gêne à l’écouter? Et puis par moments il expose mal, il embrouille physique et métaphysique (à propos des couleurs). L’absolu de certaines de ses affirmations m’agace un peu – eh! n’avonsnous pas assez déjà de systèmes. Je ne parviens pas à voir ce qu’il y a derrière, ce qui importe. Qu’est-ce que cache son visage anguleux, aux yeux petits mais profonds? Je ne crois pas que nous nous comprenions fort bien l’un l’autre, et notre amitié ne progresse pas. Je vous en reparlerai. (N’attribuez pas grande valeur à tous mes jugements actuels, soyez indulgent pour mon abrutissement en pensant que peut-être il est passager.)
Je suis flémard et déshabitué de tout effort intellectuel. Vingt fois, cher ami, depuis un mois j’ai voulu vous écrire, et n’ai pas la force de le réaliser. Cela devient inquiétant, cette mollesse. J’occupe votre petite chambre de l’an dernier, et j’aime que le lit soit dans un petit renfoncement, mais les dessins du papier (vous en souvient-il?) m’ont bien souvent exaspéré. Zut, je viens d’avoir l’idée de vous envoyer un tout petit bout de ce papier en question – au même instant je m’aperçois que l’idée n’est pas de moi et me vient d’une lettre de J. Laforgue,1 et je n’en ferai rien. Je ne suis pas sûr d’avoir jamais eu une idée personnelle. Je voudrais n’avoir rien lu, ni rien entendu dire, jamais. Quand retrouverai-je un peu de cette spontanéité, de cette ardeur que j’avais (oh bien mal placée, cher ami, placée dans la science) que j’avais vers mes dix-huit ans? Je ne suis pas fait pour être mélancolique (et puis c’est trop romantique), je ne sais guère agir; et si j’agis, (ô l’action, ô Bergson) je suis assez malin pour qu’un sincère regard vienne bientôt analyser la joie d’agir et la détruire. Il est vrai que mon action s’exerce à des métiers bizarres – si artificiels (comme apprendre de mémoire des descriptions de maladies, comme dessiner en couleurs des organes – ça c’est assez amusant, encore).
Toutes mes ardeurs, aujourd’hui vaines comme un feu d’artifice raté, pourront-elles un jour pleinement s’épanouir? L’espérance me reste encore, mon vieux, douce et grave, voilée encore et peut-être demain souriante …
Mon cher ami, nous ne sommes pas très loin, vous et moi, de la limite au dela de laquelle les êtres perdent, l’un l’autre, je ne sais quelle influence, quelle puissance d’émotion naissant à nouveau quand ils sont rapprochés. Ce n’est pas seulement le temps qui peut faire l’oubli – la distance (l’espace) y a une part qui est grande. Elle déjà pèse entre nous, sans doute (avouons le franchement) puisque des occupations stupides, et beaucoup de paresse ont tellement raréfié ma correspondance. Cela m’obsédait, (sur un plan peu conscient encore, émergeant parfois) que je ne vous aie pas écrit depuis plusieurs mois. Ceci excuse la longueur de cette lettre et son décousu. Ecrivez-moi de vos nouvelles, avec détails suggestifs, comme vous savez; secouez votre gracieuse nonchalance et donnez-moi un peu de temps volé à vos études – si indigne que j’en sois. Je ne vois pas trop quelle figure vous pouvez faire parmi tous ces Americains (il doit encore en rester là-bas, malgré tous ceux qui sont ici). J’oubliais de vous donner des nouvelles de la boîte – tout est absolument pareil (c’est la 2474me fois ce soir que je vois Madame Casaubon tenir sa serviette entre son menton et sa gorge pendant que ses mains ridées remuent la salade). Il y a votre philosophe Fuller.2 C’est un homme charmant; bon garçon, aimable, très joyeux camarade avec tout le monde et plein d’anecdotes. J’ai cru longtemps que je ne pourrais rien en tirer mais je me suis trompé: nous faisons ensemble de la gymnastique suédoise tous les matins. En ce mome
nt il est à Rome auprès de sa mère. Louise Rousselot se marie – avec un agrégé.
Cher ami, je vous serre la main.
Jean Verdenal
Je recopie cette phrase d’A. Gide3 qui me plaît infiniment ces jours-ci:
‘Alternative – Ou d’aller encore une fois, ô forêt pleine de mystère, jusqu’à ce lieu que je connais où, dans une eau morte et brunie, trempent et s’amollissent encore les feuilles des ans passés, les feuilles des printemps adorables.’
4
1–‘What can I send you as a souvenir this time?’ Laforgue asked his sister Marie in a letter of Sept. 1881. ‘From the corner behind the chest of drawers in my room I have cut a piece of wallpaper. Treasure it’ (Oeuvres Complètes de Jules Laforgue [Paris, 1925], IV, 13).
2–B. A. G. Fuller (1879–1956): later Professor of Philosophy at Harvard; author of A History of Greek Philosophy (1923).
3–The penultimate sentence of André Gide, Paludes (1895).
4–Translation: Dear Friend, The drudgery of these last months as a galley-slave has left me feeling very lazy. My examination ended a month ago; I have been given a temporary appointment as houseman, and must begin work again next summer and autumn. Damn. Still, it’s a step on the ladder. But to think of being in thrall to the same vacuous complexities as during last summer, and having to suppress all emotion and any glimmer of intelligence, however minute!