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  Clinique Stratégique

  (3)

  Tableaux

  Par Michel Filippi

  1ère edition : 9 juillet 2011.

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  I.

  Les symptômes assemblés créent des figures saisies par la symptomatologie. La symptomatologie permet de construire des tableaux, les tableaux cliniques. Médicaux ils définissent et classent des maladies. Psychologiques ils identifient des structures.

  Pour la stratégie ces tableaux pourraient être les variétés de stratèges ou les différents paysages pour la stratégie.

  Les tableaux-paysages n’impliquent pas une variété particulière de stratège. La variété de stratège choisie est une décision d’exploitation.

  Mais exploiter quoi ? Un paysage. Le paysage n’est pas l’environnement en soi, les objets qui le composent et qui nous apparaissent de manière « rectiligne », selon l’habitude, la cause et l’effet. Le paysage est une scène à travers laquelle le stratège peut agir sur des acteurs pris en elle et pour ses propres fins.

  De cette scène, la Scène esthétique, nous avons montré des parties précédemment dans Tribune(s).

  Le « Cône » connecte l’individu pris dans l’anomie du monde, là où il ne peut agir, où il est dans un lieu sans orientation et indistinct, au mécanisme de la Scène se fabriquant ou à une Scène active déjà formée.

  Au début de notre clinique la politique française semblait être ce bon paysage comme si l’en-dessous du décor était un universel homogène à la surface. Or, en changeant notre lieu d’observation nous avons découvert qu’il en n’était rien. L’en-dessous qui est la cause des symptômes est la formation violente de nouveaux empires. Nous sommes à leur jonction. Nous sommes broyés par leurs forges.

  Mais les Etats-Unis n’ont pas fini de se former. Ils sont toujours sur la forge. Les derniers Etats à avoir adhéré à l’Union, les 46e, 47e, 48e, 49e et 50e – Oklahoma, Nouveau-Mexique, Arizona, Alaska, Hawaï – l’ont fait respectivement en 1907, 1912, 1912, 1959 et 1959. L’actuel Président des USA est issu de l’Etat le plus jeune des USA. D’autres Etats sont en attente.

  Vous me direz que pour l’Europe il en est de même. Ses derniers états sont nés après l’effondrement de l’URSS, l’éclatement de la Yougoslavie. Ces conditions de naissance montrent l’effet du broiement. Ce sont les moins souples qui cassent comme toute coquille.

  Le seul effort pour construire un nouvel Etat est bien l’Europe. Or nous avons besoin d’une forme qui puisse résister aux forges des Empires si nous ne voulons pas devenir ce qu’est actuellement l’Afrique, le lieu où tous les Empires font leur marché pour obtenir des ressources et qu’ils découpent à leur guise.

  Personnellement ce n’est pas un avenir qui me tente. C’est pourquoi lorsque j’entends un homme émérite comme Alain Cotta, penseur avec lequel je partage nombre de constats et d’analyses, je ne peux que refuser ses propositions.

  En gros que dit-il ? L’Europe est mal foutue, on s’y est mal pris pour la construire. Défaisons ce qui a été fait tant que nous en avons le temps pour mieux reconstruire et qu’il n’y ait plus de crises.

  Je répondrais que ce projet est valable pour les maisons, les barrages en construction, les avions à l’atelier ou qui ont été autorisés à voler, donc pour presque toutes les constructions humaines exceptées celles qui, systémiques, ont engagé directement des humains pour se réaliser.

  Les systèmes ont la fâcheuse tendance une fois enclenchés de poursuivre leurs effets même si nous effaçons leur figure.

  Les systèmes se faisant font émerger de la violence, une violence insigne qui semble tout détruire mais qu’il s’agit de réguler comme Watt le fit pour les machines à vapeur.

  Ce qui se passe avec la dette grecque, les autres pays d’Europe, n’est que cette violence et non la réalité de la destruction.

  La destruction arrive lorsque nous voulons arrêter subitement la violence soit en l’empêchant de s’exprimer en usant d’une autre violence soit en cassant la Scène qui se fait.

  Les propositions d’Alain Cotta et d’autres sont de cet ordre, même si sa violence à lui est plutôt pateline. Appliquées nous ne nous en remettrons jamais.

  Nous serons des morceaux que les nouveaux Empires viendront ronger.

  II.

  Vous vous souvenez. Vous vous souvenez de ce que j’ai écrit, du dispositif d’observation, de ce qui a émergé comme symptômes. Vous vous souvenez des figures que nous avons construites et qui firent apparaître l’Isleurofrika. Vous vous souvenez de mon malaise, de ma nausée. Peut-être que vous avez ressenti la même ou de la colère à cet énoncé. J’ai éprouvé une émotion violente. Vous avez éprouvé une émotion violente et vous m’avez même engueulé. Il n’a pas le droit de dire cette chose atroce.

  Un brin mégalo j’ai pris pour moi les commentaires qui suivirent dans les différentes actualités. Certains venant me soutenir, d’autres défiant ma morosité.

  Vous et moi sommes pris dans une Scène, une Scène esthétique. Nous en avons tous les symptômes, changement de regard, apparition d’un décor invisible juste avant, émotion violente, convergence des informations vers la Scène comme significations.

  Que nous soyons pris dans cette Scène, cela devait arriver. Le modèle utilisé pour observer, « Le cône », est un connecteur en toute hypothèse. Qu’il ait fonctionné lorsque nous l’avons appliqué est, du point de vue des connaissances, de l’explication du fonctionnement humain, satisfaisant. C’est aussi pourquoi je vous alertais dès le début d’éviter de vous lier au stratège.

  Ce que vous avez vu, que vous continuez à voir, que vous continuerez de voir, il faut le prendre comme une connaissance et non comme une croyance, avoir le petit rire sec de celui qui n’est pas dupe.

  Dupe, duper, duperie, ce sont bien là des termes que l’on nous envoie chaque heure à la figure lorsque nous tenons à l’Europe. Eh bien oui nous sommes engagés en elle et de cet engagement nous nous souvenons de manière irrémédiable. Nous sommes dans sa scène. Chaque jour nous en contemplons le tableau, elle est devenue ce paysage dans lequel nous allons. Il a quelques sauvageries bien moins ennuyeuses que les allées bien bordées de son Jardin à la française, un jardin normé.

  Heureusement me dira-t-on car se balader dans ce qui est bien taillé, a la vue dégagée, ça va pour les paralysés, ça ne fait pas une vie. Notre vie est à venir, avec crainte, mais comme européen.

  Une part de nous-mêmes, à notre corps défendant peut-être, a été mobilisée pour concevoir l’Europe. Pour moi cette part s’est révélée comme occasion pour un passé fortement réprimé d’exister à  nouveau de manière justifiée. Par mes ancêtres j’étais déjà européen.

  Et vous, qu’est-ce qui a été révélé de votre décor ?

  III.

  La Scène Esthétique convoque des parties de nous-mêmes et très rarement la totalité de ce que nous sommes. Nous ressentons alors comme une dépossession de notre être. Rien n’est volontaire dans cette capture, ça se fait, quelque chose en nous est mobilisé. On me prend mon être !

  Mais la Scène en révèle ce qui lui manquait. C’est une part qui vient au devant du décor tenir son rôle sur la scène d’une nouvelle vie. Ce qui a été capturé en moi par la Scène de l’Europe est cette part de mon être qui est déjà Europe et que j’ignorais.

  Cette part a été aperçue hier par mon épicier alors que nous discutions cuisine, le goût ineffable des poivrons grillés. Rappelez-moi votre nom vous êtes espagnol ? Et je lui décris tout ce que je suis. A lui de m’emporter dans son tour d’Espagne. Nous sommes à la fois très proche, il est Andalou, moi par des an
cêtres de Murcie. Il me parle espagnol d’une voix agile qui n’est pas celle, embourbée, de son français. Sa cousine à Barcelone, je ne peux lui dire combien elle me rappelle cette ville où je suis né. Mais alors vos parents ne vous ont rien appris ? Ma grand-mère pensait avoir tout oublié. Mais sur son lit de mort. Ah oui quand on meurt c’est tout le passé ! Elle me disait « Caya te ». Il rit, le prononce à l’andalouse, rajoute quelques mots. Nous sommes heureux, un peu déçus. Il n’est pas complètement moi, je ne lui coïncide pas. Je suis encore plus éloigné qu’à l’instant où je rentrais, client, dans sa boutique. Mais les poivrons. Il est heureux. A la « Fête des voisins » mes poivrons ont été entièrement mangés. Nous nous comprenons.

  Comme nous nous comprenons avec mon cordonnier. Lui aussi adore les mêmes poivrons mais avec un œuf frit dessus. Nous