connu par son immédiate présence mais cette connaissance n’est pas science, elle est révélation. Là seule science que nous ayons est celle de l’Homme mort que l’on peut disséquer, explorer, découper, transformer en objets.
L’Homme vivant agit sur le mode de la révélation sans connaissance de lui-même. L’Homme qui se connaît par les sciences est mort et n’agit pas.
Le symbole confirme notre connaissance de ce qui est absent, confirme son identité et confirme aussi son absence. Lorsque nous utilisons un symbole l’absent devient présent, la connaissance que nous avons de lui est confirmée, son identité est confirmée comme est confirmé le fait qu’il ne soit pas là, qu’il est absent. Nous sommes confrontés à la présence de ce qui est absent, à la certitude qu’il est absent, au loin donc, et nous savons que nous en avons la connaissance.
Lorsque nous utilisons un objet, si cette utilisation est efficace nous faisons apparaître un absent dont nous avons la connaissance. Cet absent à une identité et il est « au loin ». Plus nous utilisons un objet plus l’absent lointain est certain et plus est confirmée la connaissance que nous avons de lui.
Lorsque nous agissons sur le mode de l’Homme ressuscité, révélé, nous nous confirmons l’existence d’un lointain absent et en même temps présent. Nous renforçons aussi la connaissance que nous avons de ce lointain. Nous confirmons son identité. Que peut-elle être ? Nous n’en connaissons qu’une, la nôtre. Le lointain est « révélation ».
Notre cerveau a été formé par la nature pour connaître la révélation. C’est un état neurophysiologique systémique. Le cerveau s’apparaît
Vous voyez l’imbroglio car ce qui nous apparaît comme lointain, révélé, sans figure connue, est un état très présent de notre cerveau. Nous mettons à distance ce cerveau qui nous appartient. Notre monde s’est construit dans toutes ses parties en mettant « au loin », en rendant absente une partie de nous-mêmes.
Les philosophies qui vont de Deleuze à Laruelle en passant par Derrida ont toutes pour finalité de ramener dans notre pragmaticité ce cerveau lointain, cette partie de nous-mêmes.
X.
Depuis que j’ai affirmé qu’il nous manquait une science pour nous comprendre, comprendre ce que nous faisons, comprendre ce sentiment de disparition qui nous hante, je suis perturbé.
Il y a bien longtemps qu’un philosophe n’a pas osé avoir une telle pensée.
C’est comme les concepts. Il y en tellement qui croient qu’il suffit de tourner un mot à l’envers, de mettre une majuscule à Ouater pour en faire un concept de chiotte que je vais me trouver avec des dizaines de Sciences à me tourner autour et à me narguer.
De plus ce n’est pas tellement avec ce que j’ai avancé comme exemples, possibles et autres babioles qu’il y a de quoi faire science. N’avons-nous pas tout sous la main déjà et il suffit de l’appliquer ?
Je tourne cela dans ma tête et je vous réponds, non je ne crois pas. Nous avons la même certitude avec ces connaissances que les Romains en avaient avec les leurs. Elles avaient pour eux le même aspect que les nôtres en ont pour nous. Une plénitude.
Lorsque je parle d’une science de l’Homme vivant, cela veut dire déjà mettre ensemble, les maintenir dans une seule pensée, tous les connaissances éparses que nous avons. Les rapprocher, comprendre alors ce que ça veut dire.
Je dis que cette science est la stratégie, l’art de nos intérêts proches et lointains. Cet art qui utilise l’esthétique pour explorer sensiblement l’inconnu, le construire ou donner à percevoir sa construction, la faire connaître, mettre en forme, se former. Cet art qui utilise aussi le symbolique pour faire surgir l’absent, agir à distance, provoquer un lointain qui n’est pas perçu. Et puis le rythme dont parle à son tour Jean-Philippe Denis, le rythme une des traces du vivant.
Ça se dessine une science de la forme vivante, de la conception du lointain, de son exploration. Tiens je crois que nous pouvons l’appeler aussi conception de la nouveauté. Mais non c’est plus vaste, je l’entrevois.
Ce que je vois alors c’est que l’hypothèse de cette science absente agit comme un système d’observation. Je vois surgir dans notre monde une forme qui évoque la forme morte bien que productive de l’esclavagisme à Rome et Athènes.
Je me trompe peut-être dans le tableau que je peins, que je tente de sculpter.
Mais il existe quelque chose de mort en nous. Et cette mort a été produite par notre manque d’une science.
XI.
Un sentiment de mort, vous le connaissez, court en nous depuis tellement d’années que nous ne pouvons qu’être certains de sa réalité.
J’ai le sentiment qu’il nous manque une science.
Ces deux sentiments, je peux en expliquer l’origine. Ils sont le produit de l’usage symbolique, de tout ce qui fonctionne comme symbole. J’en ai déjà parlé. Cet usage fait émerger du lointain un absent auquel nous pouvons accoler d’innombrables figures.
C’est pourquoi j’affirme que tous les discours accusant notre société technique – notre technologie – de détruire le sens, un sens qui précéderait même l’existence de l’humain producteur, un Homme édénique que le péché oblige à gagner sa vie dans la sueur, d’être des escroqueries.
D’innombrables charlatans se pressent comprenant que l’occasion est belle pour fourguer leur camelote, acquérir fortune et pouvoir. Ils se pressent en apportant la figure du sens. Cette figure va de Dieu à l’Efficacité.
Il est facile de repérer cette sorte de figure. Il suffit d’en exiger l’explication. Et vous constatez alors qu’en guise d’explication que vous pourrez vérifier, il vous est demandé de faire confiance, du genre « Fais moi confiance mon p’tit gars/ ma p’tiote je m’y connais ! tu crois que je te blouserai ? »
Ceux qui avec moi affirment qu’il manque d’une science, suent un max à expliquer, exposer ce qu’ils pensent être cette science. Ils hésitent, ils crèvent de peur, ils sont maladroits, incapables de vous dire comment avec cette science on pourrait faire, et c’est pour ces prédicats là que vous pouvez leur faire confiance.
Moi aussi je vous le demande, faites-moi confiance.
Construire une nouvelle science ne va pas magiquement nous créer des lendemains qui chantent. Notre société est malade par manque de cette science de l’Homme vivant. Le fait d’avoir été construite sur l’Homme mort la conduit dans une impasse mortelle pour son développement.
Il nous faut expliquer la nature de cette impasse et ce qu’elle provoque.
XII.
Plusieurs jours que je m’affronte au « mal mortel » de notre société au point que de l’écrire « mal » lui donne un aspect d’étrangeté fascinant.
Et l’« Homme vivant » contre l’« Homme mort ».
Je me suis réveillé, lever, plusieurs fois, c’est ça, ça ne peut être que ça, mais ça déjà été dit, redit, redit.
J’ai eu envie de faire un parallèle discursif avec Histoire brisée d’Aldo Schiavone, montrer l’étroitesse de comportement, de conséquences, entre l’esclavage de l’Empire gréco-romain et la Financiarisation de notre société. Dans les deux cas, au moment où il est possible de réformer, de repenser les liens entre centre et périphérie, d’intégrer la périphérie en totalité, les liens entre richesse, économie, travail, etc., etc., l’apport massif de capitaux, d’esclaves à la suite des guerres est telle que tout projet est abandonné au profit d’une forme de paix impériale, de gouvernement du monde depuis un centre qui ne fera plus que se marginaliser.
Il a fallu une catastrophe et mille ans pour obtenir à nouveau cette même espèce de plénitude de vie. Nous avons changé – tout au moins dans l’espace de l’Empire romain d’Occident – nos modes de pensée, nos formes de relation, nous avons gagné une science, l’Economie.
Et pourtant au bout de mille cinq cents ans nous retrouvons de mêmes symptômes, ce même sentiment qu’il n’y a plus d’avenir puisque nous avons tout conquis, la même saturation infernale – il faut évoquer l’Enfer, les En
fers – du lointain par des figures connues, aveugles.
Nous nous sommes moqués de l’Avenir radieux, des Lendemains qui chantent, communistes, qui saturaient le lointain et conditionnaient toutes les productions, mais nous faisons de même. Pour paraphraser Aron, en quelques années nous sommes passés du dialogue qui crée lui aussi le lointain et teste ses figures possibles, au discours des hiérarques de toutes sortes qui saturent ce lointain de figures connues.
N’est-ce pas ce que dénonce le modèle du « cône » utilisé dans l’observation stratégique ?
Il ne faut pas croire que ce modèle est occasionnel et désigne à la vindicte tel ou tel groupe de puissants, d’intellectuels. Il décrit le comportement du vivant et la saturation du lointain par les figures du passé, l’Homme du passé, n’apparaît que dans le cadre d’un phénomène de résonnance. C’est un Homme mort.
Je sais bien que Nietzsche au mieux mais tous les autres au pire ont réclamé un Homme nouveau.
La violence accompagne-t-elle nécessairement l’invention de nouvelles sciences, la reconfiguration de nos modes de pensées, de relations au travail, à la production, à la nature ? L’émergence d’un Homme vivant ?
XIII. Et dernier.
C’est le dernier parce qu’il est temps de ramasser la donne, donc de faire des paris. Il faudra peut-être bien quelques