tableaux, passons sur leur surface au rythme de nos, de l’espace laissé disponible par les autres qui comme nous traînent et lorsque nous piquons vers l’œuvre c’est pour fixer l’étiquette indiquant le titre, la date et la composition de l’œuvre « oil and canevas ».
Nous passons un temps infini à déchiffrer les phrases sentencieuses calligraphiées dans l’alphabet design le plus pédant sur les murs, surplombant les peintures accrochées, les croisant dans leur verticalité puis, en un clin d’œil, nous fixons l’œuvre, oui, elle correspond à ce qui est écrit.
Au suivant ! Au suivant !
Des musées, des salles d’exposition, le sensible a été rejeté comme inadapté, la connaissance, les idées qui devaient émerger de notre confrontation à la forme annulées, niées au seul profit du discours de celui qui avant nous sait. N’en porte-t-il pas le titre de connaisseur sous ses différentes formes d’autorité ? Critique ou conservateur si ce n’est commissaire.
Alors que depuis un demi-siècle nombre de manipulateurs de forme nous ont affirmé que de l’œuvre d’art nous en étions une partie, qu’ils ont tout fait pour que nous soyons concernés et formions nous aussi notre idée, des connaisseurs officialisés avec leurs cohortes de plasticiens de petites vertus nous enserrent dans leurs énoncés débiles pour nous transformer en masse abrutie prétendument esthétiquement éduquée.
Il en est de même pour les tableaux du monde, ceux formés par les acteurs du monde et qui nous préoccupent dans la stratégie.
Lorsque je vois des amis que j’ai connus plus sagaces n’utiliser les réseaux sociaux que pour s’indigner de la saleté de leur quartier, se plaindre que personne ne veuille les entendre et s’étonner que, à la manière de Renoir je me lève chaque matin pour m’installer devant mon travail et n’en partirai qu’au jour tombé ; lorsque je vois ma famille se prendre d’importance pour des futilités qui ne sont que des goûts communs, je me dis qu’ils répètent à l’envie les nouveaux dispositifs esthétiques, ceux de l’explication de consommation, du rythme de supermarché.
Ils s’étonnent que ce monde plein soit vide ? Qu’ils s’en prennent à leur façon de faire plutôt que se déclarer victimes.
Si nous sommes victimes c’est qu’existent des criminels. Et ceux-là semblent ne pas manquer. Jean-François Gayraud nous le dit bien en décrivant l’affaire des subprimes comme une conspiration organisée par des banquiers connaissant parfaitement les conséquences des produits financiers qu’ils avaient ficelés, chasser les petites gens de leur maison et s’accaparer leurs biens.
Je ne nierai pas une telle intention mais j’estime que, pour ce qui nous intéresse, elle relève de l’anecdote, l’occasion pour les victimes de pendre bientôt quelques coupables confirmés, avant de pendre ceux qui nous viennent sous la main. La main ou la veuve- poignet ? La guillotine est aussi une veuve. Les victimes se masturbent donc pour être soulagées.
Les voleurs sont majoritaires dans une société lorsque celle-ci n’offre plus aucune direction vers où aller. Alors l’économique devient la seule préoccupation de chacun, la régulation de nos biens. Et tout le monde s’en préoccupe, agit pour cette seule détermination, mon bien. Cette préoccupation est la même que l’on soit banquier ou velov’iste ignorant tous les feux de signalisation qui régulent la vie en société.
Le philosophe se fait moraliste. Encore un qui a quelques vertus à nous vendre ! Un peu de sens dans ce monde absurde ! Achetez ! Achetez !
Ne me prenez pas pour une quelconque église qui tient aussi son jeu de l’économie.
Voleurs et victimes ne sont que des symptômes, eux aussi.
Si notre société ne nous permet plus de nous orienter, c’est qu’elle se défait. Et à cela deux raisons, conjointes et opposées.
Certains pensent que notre société doit se régénérer pour redémarrer, s’orienter à nouveau et pour cela ils sont prêts à tout. Et la première action à faire est détruire ce qui existe, agir sur la mémoire, l’effacer au plus profond et la remplacer par une autre. Les totalitarismes l’ont fait. Les forges des Empires le font à nouveau et de toutes les façons possibles, détruire, empêcher, interdire l’enseignement du passé, reconstruire, effacer des drames, en élire certains, tout cela sans limite pourvu que soit atteinte la fin.
D’autres, et peut-être sont-ils les mêmes, ne la comprennent pas cette société. Ce qu’ils voient est compris comme vérité. Signe-Signal-Signification sont écrasés l’un sur l’autre. Une connaissance leur échappe. Elle leur échappe parce que cette connaissance n’est ni désignée ni formée.
Au plus beau de l’Empire romain, avant qu’il ne se scinde en deux parties, que l’Occident s’effondre, ce qui échappait à tous et surtout à ceux qui pouvaient agir pour orienter, était la science économique qui n’était nullement formée. Une ombre sur le monde.
Il en est de même actuellement. Nous ne comprenons pas une partie de notre monde car nous manquons d’une science que je ne saurais nommer.
J’aimerais que ce nom soit stratégie.
VIII.
Notre monde doit être bouleversé car sans avenir. Les gens trop bien installés arrachés de leur lieu pour qu’il ne s’écroule. Il faut le mettre en mouvement. Les Aztèques arrachaient bien le cœur d’innombrables gens pour que le Soleil continue sa course. Le prêtre officiait, vêtu de la tunique de peau du jeune écorché.
Nous aurions atteint une forme de perfection et le surplus de nos actes ne peuvent que détruire l’existant, détruire ce qui nous a permis d’exister.
Nous prêtons au monde ce que nous éprouvons, la limite de notre compréhension. Et celle-ci s’effondre dans la répétition. Plus elle se répète, plus elle semble s’épuiser. Personne ne comprend que comprendre c’est ouvrir comme l’on fait pour un cadavre.
Mais depuis ce temps de l’anatomie nous avons évolué. Nous devons ouvrir le vivant puisque c’est le vivant « en vie » qu’il nous manque de comprendre.
Nos théories de la Cité, nos instruments Politiques, notre science est en général la compréhension des choses mortes, des âmes mortes.
Il me fait bien rire celui qui a compris que les âmes sont l’intrication de notre corps au monde tel que nous le faisons, tel qu’il se reflète en nous et le discours que nous en tenons. L’âme une émergence d’un réseau complexe, dont les boucles de rétroactions se bouclent, bouclent …
Il me fait rire car c’est un modèle du vivant. Un p’tit peu d’Edgar, un p’tit peu de Francisco, un poil de Damasio et un grand tiers de thermodynamique. Ça vous enivre certainement mais lorsque vous savez que des amas de poussières peuvent acquérir des propriétés du vivant, vous tirez sur le col de la chemise pour émettre ce fameux glup qui nous fait tant rire.
Mais vous avez raison ce qui nous manque est une théorie du vivant, nue science du vivant qui irriguerait toutes les couches de notre société, toutes ses pratiques, productions et non de manière sporadique, sous la forme ébréchée de l’ergonomie, du cognitif, du sociologico-éthico étriqué.
Car lorsque la Rome des Antonins manque d’une science économique, celle-ci n’est que science d’une partie de l’activité du vivant.
Alors soit nous avons exploré toutes les activités du vivant, soit nous ne l’avons pas fait. Si nous l’avons fait, alors tentons une science du vivant. Si nous ne l’avons pas fait, explorons ce qui nous manque comme science.
Lorsque j’affirme qu’il nous manque la stratégie comme science, c’est que je ne pense pas à la stratégie comme art d’arriver à bon port, de gagner sur le concurrent, de se maintenir en vie. Tout cela est fractionnaire. En épelant tout ce que la stratégie fait nous faisons comme les philosophes romains à décrire ce qui nous intéresse de l’économie, la liberté de contempler et le bonheur d’échapper au travail. Le reste est un mal nécessaire qui ne doit pas nous hanter.
Or c’est vrai que dans notre civilisation peu de monde travaille à produire, par choix ou obligés. C’est vrai que les productions sont en même temps désirées et honnie
s. C’est vrai qu’on nous affirme avec force que les désirer nous fait perdre notre humanité. C’est vrai que la civilisation des loisirs est la forme fripée de la contemplation philosophique. Tout cela est vrai.
Mais là n’est pas le problème. Le problème est qu’il nous manque une science des fins. Une science des intérêts proches et lointains. Une science de la construction des paysages, des déplacements. Une science partagée de l’exploration et de la maîtrise de ce qui a té exploré. Une science de l’Homme vivant.
Il nous manque pour ça de laïciser cette philosophie qui va de Deleuze à Laruelle, d’en faire non la confirmation des sciences existantes mais le socle de notre science prochaine.
IX.
Nous avons affirmé que le sentiment de catastrophe qui nous tenaille a pour origine l’incompréhension de notre monde. Et nous avons appelé à l’émergence d’une science qui n’existe pas encore.
Nous avons espéré que cette science se nomme stratégie. Nous voulons faire de ce qui n’est qu’un art le domaine de transformation des philosophies et créer une science du vivant, de l’Homme vivant.
Le monde dans lequel nous vivons, nous agissons, nous construisons est celui d’un Homme qui mort a été ressuscité. On désigne ce monde comme celui de la chrétienté. Cet Homme ressuscité est