Read Le Coucou Page 12

C’est elle. Elle a tort. Elle est folle. Rien ne m’avait préparé a autant de violence.

  Une nuit au poste. J’y suis.

  Je les ai insulté. Ils m’ont dit que je resterai un jour et une nuit de plus. Ils n’ont pas le droit.

  Mon avocat m’a expliqué que c’était par principe de précaution. Une garde à vue préventive. Un truc de ce genre. J’ai pas écouté en fait.

  S’ils croient que je vais attenter à mes jours, ils se trompent. Je suis dans mon droit. C’est elle qui délire. Je vais appeler mes amis. Ils vont témoigner. Expliquer que je suis un père parfait. Calme et tout. C’est elle. Elle est jamais là, elle voyage pour son travail, loin, Londres, New York, Milan. Et puis parfois l’Asie. Le bruit de sa valise à roulettes sur le plancher quand elle rentre. Les clés qu’elle jette sur la tablette en verre de l’entrée.

  Je l’ai suivie à Los Angeles. J’ai repris les études et je me suis occupé des filles. L’appart était sur deux étages. Tout en angle, avec des escaliers partout. J’avais peur que les enfants tombent et se cognent. J’étais mal dans cet endroit. Sauf sur la terrasse. J’aimais bien regarder la rue en bas, les voitures passer, les types faisant leur jogging, les vieilles liftées en promenade avec leur chien, et les school bus toujours réguliers dans leur navette. J’attendais parfois toute la journée que les enfants rentrent. Sans rien faire d’autre qu’attendre.

  Cette fois-ci, c’est juste que c’était pas possible. Faire chambre à part. M’interdire de la toucher. Ca me rendait fou. Le mariage, cela veut dire avoir des relations sexuelles, non? Elle dit qu’elle fait chambre à part parce que je l’ai déjà frappée il y a quelques mois. J’ai du lever la main. Même pas. La menacer. Oui, je l’ai traitée de tous les noms. Ca c’est vrai. Pas de preuves. Personne n’a entendu, sauf elle et Eglantine. Eglantine ne dira rien. Elle aime trop son père chéri. C’est ma fille. Elle a le même grand front et cheveux blonds. Et les mêmes petits lobes d’oreilles.

  Ma mère me l’avait dit. Ma mère m’énerve. Elle est psy. Cette femme est trop forte pour toi mon Armand. Armand fait ce qu’il veut. Je suis designer, architecte, j’ai un MBA, ouais, un MBA... Je fais ce que je veux, c’est moi qui décide.

  Qu’est ce qu’il a ce flic? Tu me cherches? Tes potes, ils m’ont même pas donné à boire. Je touche dix fois ton salaire, crève, putain, t’es un naze, t’es moche, tu pues... T’as l’air vieux alors que t’as dix ans de moins que moi. Et ouais mon brave, je prends deux douches par jour, je mange du saumon quand je veux, je prends mes vacances à Megève, tu sais la station de ski, les jolis chalets, et l’été, je suis en Corse, ben oui, l’eau bleue, les calanques, Hôtel Cala Rossa, tu sais même pas où c’est, si? Je suis propre moi. Ta femme, je voudrais pas la baiser. Mais, elle me ferait une petite pipe que je dirais pas non, les cheveux en arrière, une queue de cheval, ou un chignon. Comme ma femme au début de mon mariage. Elle me prenait dans sa bouche, c’était divin. Elle serrait mon pénis d’abord fort avec ses doigts. Et puis elle allait et venait en me prenant au fond de sa gorge. C’était chaud et doux. J’aimais bien, et elle avait une façon à elle pour me caresser, comme pour soupeser mes testicules. C’était bon. Je regardais bien son visage quand elle le faisait, pour m’en souvenir. Elle fermait les yeux, moi pas.

  Bon Dieu, pourquoi je pense à mon père. Il est mort. Mort, longtemps déjà. J’avais vingt-sept. Ouais, c’était l’année de la naissance d’Eglantine. Je lui ai fait la piqure. Il m’a foudroyé du regard après son attaque. Stop tout ça fils, agis, fais ce que je te dis de faire. Tout cela avec les yeux, il était paralysé, il parlait plus. Je lui ai toujours obéi. Il est mort. J’ai tué mon père. Assassiné. Plus rien de lui à part les photos et même pas de lettres, il écrivait jamais. Il m’a appris le Polo, j’en ai remporté des coupes. J’avais pas le temps de rencontrer des filles, je bossais, et puis le Polo. Rien d’autre.

  Adé est arrivée dans ma vie comme ça. Une soirée. Un rallye. Et puis un autre. Je lui ai récité un poème de Baudelaire et une page de Proust. Cela l’a fait rire. Elle m’a trouvé désuet. Désuet. Adé a une jolie nuque, toute gracieuse, et une poitrine menue. J’aime bien ses hanches fines et mettre ma main sur ses hanches, juste au creux. Et aussi glisser mon doigt dans le creux de sa clavicule. Cela me calme. Adé a le même rire qu’au début de notre relation quand on se rend tous les deux à des soirées. Les autres nous trouvent très amoureux. Ils disent qu’on forme un beau couple. Un beau couple ! Je vous méprise tous.

  Adé m’a empêché de rentrer dans sa chambre. Cela fait trois mois au moins qu’elle m’en barre l’accès. C’est pas normal. Je suis son mari. Nous sommes mariés devant l’église. Je suis pratiquant. Nous sommes mari et femme. Elle me doit son corps. Alors je l’ai frappée. Oui, c’est vrai je l’ai frappée. Elle le méritait. Salope. C’est moi qui décide. Une pluie de coups, ça m’a soulagé. Elle a fui, je sais pas comment. Je me suis retrouvé seul avec Eglantine qui pleurait et Léo qui criait elle va où maman. Je le dirai pas. Je dirai qu’elle est tombée toute seule. Et que les traces, c’est pas moi. Ils m’ont montré les polaroids. C’est pas moi, je vous dis. Parlez à mon avocat. Je n’ai rien à vous dire. Bande de ratés. Vous avez un job de merde. Minables. Votre cellule pue, vos bureaux suintent la médiocrité. Je suppose que vous habitez dans des endroits éclairés aux néons et que vous mangez des pates et des pizzas, avec des bières qui tiennent même pas dans le frigo trop plein, car vous avez procréé, oui, vous avez de la marmaille. Alors vous la buvez tiède la bière en regardant un match de foot ou une série de merde. Vous avez une vie de merde. Ectoplasmes. Cloportes. Larves. Je me salis à vous regarder et vous parler.

  Moi, je crée, vous pouvez pas comprendre. Je suis engagé, je suis dans le domaine de l’architecture et du développement durable. Je réfléchis au sort de notre planète, et j’agis.

  Ma fille s’appelle Eglantine, elle m’admire. Oui, comme toutes les filles avec leur père. Mais elle, c’est spécial, elle sait que je suis son père adoré. J’ai un fils aussi. Léo. Il est mignon Léo. Ma femme est dangereuse. Elle veut tout maitriser. C’est moi l’homme. C’est moi le chef de famille. Elle comprend pas ça. Ma mère m’avait dit “Fils, tu n’auras que des problèmes, tu es trop vulnérable, tu es trop indécis pour vivre avec une femme comme elle , elle n’est pas de ton espèce, c’est une battante, tu ne sais pas ce que tu cherches dans la vie, et elle, elle trace...” Non, elle a pas dit ça. J’invente. Elle veut des bijoux. J’ai dû lui acheter un bracelet. Oui, avec des diamants, une fortune.

  En fait, je l’ai pas acheté, j’ai regardé dans la vitrine, je l’ai pris dans les mains. Je l’ai reposé. C’était pour ses trente six ans. Oui, Eglantine à dix ans déjà , et Léo cinq.

  La vie passe trop vite...

  Non, je l’ai pas touchée. C’est n’importe quoi.

  Le flic me dit qu’ils ont maintenant deux dépositions. L’une de ma femme, et aussi celle de ma fille. Eglantine est restée deux heures trente avec eux. Deux heures trente. A cet âge on raconte n’importe quoi pour se rendre intéressante. Comme le fils de Louis XVI, après la mort de son père, élevé par les roturiers, il accusait bien sa mère d’avoir fait des attouchements sexuels. N’importe quoi.

  Elle m’accuse de l’avoir frappée. Je l’ai giflée parfois. C’était mérité. Sa mère faisait les courses, et elle refusait de mettre le couvert. Et une autre fois, elle n’avait pas vidé l’eau du bain. Je lui ai donné des coups de pieds dans le ventre. Elle se tordait par terre comme un petit vers. Je jubilais de la voir dépendre de moi, d’attendre si mon pied allait la frapper encore, où si son père allait la relever. J’aime bien sentir qu’on dépend de moi, de ma volonté.

  Je ne le dirai pas. Pas de preuves. Ils n’ont pas de preuves. Pas de traces. C’était il y a des mois. Ou bien la semaine dernière, je ne sais plus. De toute façon, ce sera ma parole contre la sienne, et ce n’est qu’une mioche.

  Je voudrais prendre une douche. Me raser. J’aime bien le bruit de la lame contre ma peau. U
n crissement. Cela me calme. J’ai envie de la pluie de l’eau sur mon visage et de boire l’eau.

  Ils vont m’épuiser à rester sur ce banc. Je lui ferai payer. Je vais la poursuivre. Je vais embaucher un enquêteur. Je prouverai qu’elle est jamais là. Que c’est une mère indigne, c’est moi le bon père. C’est moi qui allais au square quand ils étaient petits, pendant qu’elle faisait ses mails et lisait ses dossiers. C’est moi qui suis indispensable.

  Mon avocat m’a dit que je n’avais pas le droit de revenir dans notre appartement, pour les protéger, c’est n’importe quoi. Il m’a proposé d’aller chercher des affaires et m’a demandé si je savais où loger, sinon il s’occuperait de louer un petit meublé dès demain. Un petit meublé, j’y crois pas, à la porte de chez moi ! Du jour au lendemain ! Et on parle de démocratie et de justice dans ce pays, la France. Elle l’avait mérité, ils ne connaissent pas ses silences à cette femme, ces sourires méprisants, ses absences pendant les conversations, et puis ses punitions, une petite gifle et hop, tu ne me touches plus...

  Son air de faire semblant dans les diners, insupportable, nous sommes un couple normal.

  Ils vont m’obliger à voir mes enfants dans un centre spécial, avec des caméras. J’y crois pas ! C’est injuste ! C’est elle la mauvaise mère. La mauvaise femme. Elle a voulu me piéger. C’est le mal incarné. Le diable n’est pas loin, il faut le faire reculer.

  J’irai à l’église en sortant. Cela me calme. Prier pour son âme. Prier pour que ma vie revienne comme avant. Mais sans elle. Elle est noire. Je suis pur. Je le sais.

  Décembre 2011

  Le curry trop épicé