Read Le Coucou Page 18

La salle de gym basque, c’est le nom que je donnais à l’endroit. J’aimais m’y rendre chaque matin.

  Biarritz était calme après la ruée des vacanciers, milliardaires russes et leur suite hétéroclite composée de leur famille sur trois générations et de leur chauffeur et body guard à l’Hôtel du Palais, plaisanciers rondouillards et épanouis, rouge du soleil du jour, vieille dame solitaire à bijoux en or passant, vespérale, les seins nus les pieds dans l’eau. C’était les marées d’Equinoxe, et les vagues montaient jusqu’à la jetée. Le soleil brillait doucement dans un ciel nuageux et faisait rutiler la coupole de l’église russe du quartier Saint Charles.

  Je passais tous les matins une heure dans cette salle haute de plafond et aux poutres apparentes. L’équipement était ancien. Les vélos d’appartements grinçaient et on avait les plus grandes difficultés à changer la hauteur de la selle, la vis ou l’écrou manquant systématiquement. Les altères étaient nombreuses et parfois dépareillées, ce qui me laissait imaginer un voleur de poids de huit kilos et de douze. Et les appareils de musculation avaient les coussins fendus, il fallait aussi s’y reprendre à plusieurs fois pour faire rentrer la tige dans le support pour changer la puissance musculaire nécessaire.

  Le kinésithérapeute qui habitait dans la grand pavillon laissait la salle du bas et l’étage où l’on montait par un double escalier à rambardes à la disposition de sa clientèle, soit l’équipe de rugby locale qui travaillait ses appuis, et les personnes âgées qui venaient traiter leur mal de dos et essayer de prolonger un peu un reste de vitalité.

  J’allais là, au départ, n’ayant en conversation que le kiné, qui régulièrement me faisait un brin de causette sur le temps probable de la semaine en cours, et encaissait toutes les semaines la modique somme pour ma présence en ce lieu hors du temps et l’utilisation de ses machines grinçant gentiment.

  Comme je finis par m’installer à Biarritz après la liquidation de ma société, je pris un abonnement à l’année.

  Je me rendais alors chaque jour à la salle.

  Je finis par rencontrer bien évidemment les habitués. J’appréciais le silence complice d’une famille, le mercredi après midi et samedi matin ; le rugbyman paternel, sa jeune et jolie épouse accompagnée de leurs deux gracieuses petites filles travaillaient leurs adbos et fessiers, tous allongés sur des tapis individuels bleu vifs devant le grand miroir. Ils posaient toujours avec délicatesse une serviette sur le tapis pour ne pas imprégner celui-ci de leur sueur. L’homme étaient en noir, du type taciturne, et ne faisait aucun bruit, sa jeune épouse donnaient les consignes à ses filles et les reprenaient gentiment quand celles ci babillaient trop bruyamment, et leur demandait de se concentrer.

  Ma bicylette était perpendiculaire à leur tapis, et je faisais toujours semblant d’écouter la musique de la radio espagnole qui dévidait du top cinquante local sans intérêt, ou de regarder la lumière jouer sur le plancher et le plafond au gré du mouvement du platane sur le trottoir, ou encore a rue calme devant par les fenêtre largement ouvertes.

  Mon pire ennemi dans la salle était une mamie impitoyable avec tout intrus dans sa salle de gym. Elle venait tous les matins pendant deux longues heures. J’avais essayé de changer mes horaires, renonçant à mes tartines trempées dans le café pour l’éviter, mais rien n’y faisait. Impériale, droite dans son jogging et son petit corsage marron foncé et à fleurs, désuet à souhait avec sa lavalière et sa médaille en or, elle faisait la pluie et le beau temps. La première fois qu’elle m’adressa la parole, ce fut pour me signifier qu’il n’était pas correct de ma part de venir sans serviette éponge. Je lui accordais. La deuxième fois, c’était pour pester contre un touriste de passage qui hahanait trop fort à son goût et la dérangeait dans ses efforts. Comme elle ne savait pas à qui s’adresser pour lancer son fiel, elle me fit signe d’avancer vers elle pour me le chuchoter quasiment à l’oreille. La fois suivante, ce fut pour me corriger, en m’expliquant que je poussais trop loin le poids de mes jambes et que je risquais un claquage du mollet vu ma faible constitution. Elle le fit avec un vilain sourire, certaine de me blesser, j’en suis sûre.

  Je bouillonnais intérieurement, et quittait la salle peu après, exaspéré. J’appris par la suite à l’ignorer.

  L’homme que je préférais était un lion de soixante cinq ans, grand, la crinière au vent, toujours dans des marcels distendus, laissant voir les poils blancs de sa poitrine, et ses bras un peu flasques.

  Il me prit gentiment à parti la première fois que je faisais d’un appareil hélicoïdal pour les jambes, me reprochant de ne pas sourire. “Dans toute chose, il faut prendre du plaisir. J’aimerais donc voir un sourire sur votre visage, sinon il ne faut pas venir vous entrainer.”

  J’appris son histoire par l’associé du kiné, un jour où il n’était pas là, alors qu’il la racontait avec un rien de compassion et un soupçon de complaisance dans la description du malheur. Il tenait l’histoire de sa femme de ménage qu’il partageait avec l’homme à la crinière argent. Cet homme avait eu une famille, et l’avait perdu à trente cinq ans dans un tragique accident de voiture. Il avait porté le deuil de ses deux enfants et de sa femme, et il avait alors décrété que plus jamais il ne monterait dans une voiture. Comme il était architecte en Haute Savoie, les chantiers étant loin les uns des autres, il avait dû renoncer à sa promesse et s’était finalement acheté un solide quatre quatre. Solitaire, on le surnommait l’ours de Veyrier du lac où il avait son bureau. Il avait fini par rencontrer dix ans plus tard, une femme qui lui avait faire oublier la tragédie. Cet été là, il avait dû visiter un chantier avec un client parisien qu’il appréciait, et il espérait que son contentement lui donnerait aussi d’autres pistes de projets futurs, par bouche à oreille. Il pensait finir la soirée dans un petit restaurant du vieil Annecy au bord des canaux et avait donc demandé à sa nouvelle compagne de venir à la visite rapide du chantier. Le client était tellement enthousiaste sur l’originalité de sa nouvelle maison, qu’il proposa à notre architecte de venir accompagner prendre un petit verre en bas de Talloires, au bord de l’eau. Les trois enfants du client étaient tellement enthousiastes à l’idée de monter dans le gros quatre quatre, même pour quelques kilomètres de trajet, qu’il n’osa pas refuser.

  Sa compagne, qui connaissait sa hantise de l’accident, lui fit un joli sourire pour lui dire de ne pas s’inquiéter et monta dans l’autre véhicule du client. On ne sut jamais très bien ce qui s’était passé, probablement, à l’époque des radio cassettes, le conducteur avait il voulu changer la musique, et avait manqué un virage, pour finir dans la rivière en contrebas. Aucun des passagers du véhicule n’avait survécu à la chute. Comme un malheur n’arrive jamais seul, l’associé de l’architecte avait empoché l’avance pour les chantiers et avait pris la fuite par l’Italie sans laisser de traces. Il avait dû non seulement déposer le bilan, mais vendre sa maison, étant responsable des dettes laissées.

  Voilà toute l’histoire, soupira le kiné. Le monsieur chauve à lunettes qui l’écoutait, tout en faisant des mouvements de gym sur son tapis proche de ceux qu’on apprend aux femmes pour mincir au dessus des hanches, s’épongea le front et déclara : “ Ces lois des séries, c’est tragique”.

  Il est sans doute temps de me présenter. Je suis retraité à cinquante ans. J’ai fait fortune très tôt. Puis j’ai perdu cet argent, et je m’en fiche royalement. Je sais vivre de peu. Si quelqu’un me décrivait, je pense qu’il commencerait par dire, il est très petit, il a de gros sourcils. C’est vrai. Je fais à peine un mètre quarante six, et cela a bouleversé ma vie. A l’adolescence, je me souviens avoir demandé à ma mère d’aller voir des spécialistes. Ceux ci me rassuraient, en regardant mon os du poignet, ils m’expliquaient que ma croissance n’était pas achevée, et me conseillaient avec une grande tape dans le dos de boire du lait, et de manger des steaks bien saignants. Je le fis, mais hélas ma croissance était bien achevée à quatorze ans. J’en fis un défi perpétuel d’être le meilleur à ce que j’accompliss
ais. Je bossais plus que les autres, bien que je n’excelle pas en mathématiques (il est vrai que je révisais mes leçon en lisant les exercices ce qui n’est pas la méthode la plus efficace), j’étais le meilleur dans la quasi totalité des matières. J’étais pourtant au fond de la salle, et souvent collé ou sorti du cours par la prof, y allant de mes jeux de mots sur un ton insolent, afin de me faire accepter des autres, et pardonner des mes résultats au dessus de la norme. C’est vers quatorze ans aussi que je me mis à la natation, afin d’y passer la rage que j’avais de ne pas grandir. J’excellais au crawl, et être le plus jeune de l’équipe atténuait ma différence de taille avec les gars bien bâtis de dix huit ans et plus.

  C’est à cette époque de ma vie que mon père est tombé malade. Un cancer des os. Le jour où il nous appris cela, on a pris un apéro avec du pastis et des cacahuètes. Ils les mangeaient une à une, sur la toile cirée de la table de la cuisine, sous l’éclairage cru de la lampe à néon. Ma mère reniflait, et son rouge à lèvre rouge carmin avait fait une vilaine trainée sur sa joue, mais personne n’osait lui en faire la remarque. Je n’avais jamais bu de pastis auparavant et je déteste le goût de l’anis depuis.

  La maladie de mon père a atteint mon jeune frère de deux ans mon cadet. C’est comme si ces années là, il avait éteint la lumière et fermé la porte. Il est devenu gris et sans aspérité, un quelconque employé administratif dans les assurances. Je crois qu’il vit toujours seul, bref, un vieux garçon.

  Moi, j’avais trop morflé enfant sous les coups pour ne pas être passé à un stade qui me laissait observer sa lente agonie avec distance. Ma mère me forçait à lui rendre visite les dernières semaines. Hôpital Henri Mondor, un batiment immense et triste, ou l’agitation côtoie la mort et la souffrance.

  Depuis mes quatorze ans, j’étais devenu trop rapide pour mon père. Il n’arrivait plus à m’atteindre, même avec la boucle d’une ceinture en cuir détachée de son costume gris le soir. Pourquoi il me frappait ? Aucune idée, l’habitude. Ma mère laissait faire, sanglotant silencieusement, le mouchoir collé à ses narines. C’est à cette période de ma vie que j’ai décidé que je deviendrais quelqu’un. Par respect pour l’enfant que j’étais, risée de ses copains quand je refusais d’enlever mon tee shirt dans les vestiaires du stade, pétri de peur à l’idée d’être démasqué comme un enfant battu à chaque visite médicale de début d’année. Les médecins n’étaient pas très attentifs, et mon père s’arrangeait toujours pour viser le dos, jamais les bras ou le visage. Alors, aussi surprenant que cela puisse paraitre, je suis passé six années consécutives entre les gouttes.

  Ma mère, j’ai oublié de dire qu’elle est toute petite, et mon père était lui très grand, la seule chose positive qu’il aurait pu me transmettre, il ne l’a pas fait. Ma mère, disais-je, s’est remarié avec un fleuriste, végétarien et mangeur de graines, sans intérêt. Ils habitent une tour moderne à Créteil, dans un environnement aussi laid que lui.

  J’ai lancé ma boite d’import export de meubles chinois à dix neuf ans, après le bac. Au départ, c’est en me renseignant aux Puces de Saint Ouen, et en faisant des stages d’hébéniste chez un retapeur de meubles paysan de Chine, pour les cadres en mal d’exotisme chez eux. La vulgaire commode de campagne, remise au goût du jour et laquée devenait un meuble pour appartement haussmanien. Plus tard, j’ai crée une boutique à mon compte. J’aimais bien les voyages en Chine. C’était avant que tout le monde ne parle de ce pays et de sa puissance économique. Avant que la main d’oeuvre ne soit couteuse et que les perles des vieilles maisons deviennent plus rares. Ma taille n’était pas un handicap là-bas, j’étais presque rassurant quand je faisais des deal, regardant mon partenaire commercial droit dans les yeux, avec une poignée de mains virile. J’avais fini par ouvrir une succursale à Singapour, une autre à Hong-Kong, et une à Düsseldorf.

  Et puis les gens se sont lassés, la mode est passée, je ne l’ai pas vu venir. J’ai du liquider cette première affaire.

  C’était l’époque des débuts informatiques à la maison, et je me suis alors associé avec deux copains de fac pour créer une société de service et d’accompagnement informatique à domicile et des ateliers de groupe de mise à niveau sur PC et logiciels pour petites entreprises. Au final, on vendait des heures hommes, et on n’a jamais vraiment fait fortune, mais cela m’a permis de mettre un petit pécule de côté avec ce que j’avais en bourse. J’ai décidé de ne plus travailler, et de passer plus de temps à savoir qui j’étais.

  Par moi même, sans l’aide de ces satanés psy ou charlatans.

  A me repencher sur mon passé, le sport a vraiment joué un grand rôle pour moi. La natation. Puis la fonte, de plus en plus lourde, le matin je suais dans ma chambre qui faisait aussi salle de musculation. J’ai mes rituels. Je fais mon sport et ensuite avale du blanc d’oeuf pour les protéines. Et un steack haché bien saignant. Après seulement je prends ma douche, je la commence chaude et je finis toujours par un jet d’eau froide, cela tonifie.

  Ou plutôt je devrais parler au passé. J’ai une profonde lassitude de la vie. C’est comme si en décidant d’être retraité si jeune, j’avais enclenché un compte à rebours. Et que la mort rôdait, proche. La seule chose qui me calmait, c’était le bruit des vagues, par tous les temps, je me promenais en allant de chez moi au phare à droite puis en revenant vers le Casino et le vieux port.

  L’autre nuit, je n’ai pas fermé l’oeil de la nuit. Ceux du dessus faisaient un bruit de tous les diables. Des meubles bougés de place. Des talons en bois sur le sol qui marchaient, tournaient dans la pièce du dessus, repartaient. Pourtant la veille, la voisine du dessus m’avait assuré que le bruit ne se reproduirait pas, en s’excusant pour ses grands enfants repartis à Bordeaux. Ils devaient jeter une balle au chien, avait-elle affirmé. La nuit chaude me faisant suffoquer, j’étais monté, approchant à pas de loups. La lumière du couloir s’était éteinte et quand j’étais arrivé à la porte pour sonner après l’avoir rallumée, le silence s’était fait dans l’appartement. Les bruits mystérieux avaient repris dès que j’étais redescendu. Je me sentais trop fatigué pour remonter. Mais au bout d’un quart d’heure de ce ramdam, j’étais remonté, en silence et sans mettre la lumière, cherchant la porte à taton. Le bruit avait cessé au moment où j’allais sonner de nouveau. J’était redescendu et m’était endormi comme une souche.

  Ma vie est tranquille et j’aime bien les rencontres qui me donnent des repères. J’ai l’impression à ma façon de me reconstituer une famille.

  Aussi, ce monsieur lion me rassure. On peut être blessé par la vie, et avoir une certaine joie de vivre. Je l’ai vu hier en train d’entamer la conversation avec le marchand de journaux pendant que j’achetais Sud Ouest. Il avait troqué son éternel marcel pour une chemise à pois improbables, un bermuda trop court, et des tongs en toile, avec un look de série américaine des années quatre vingt.

  Je l’ai revu en train de fumer une cigarette et de prendre un petit verre de vin, devant le portail de l’immeuble avec notre gardien, impeccable dans sa chemisette à carreaux et son pantalon de couleur. J’ai monté quelques marches et me suis assis à l’abri de la balustrade en pierre. Ils parlaient du feu d’artifice. Le monsieur du cinquième avait essayé de mettre un trépied dans l’appartement en travaux que le gardien avait l’autorisation d’utiliser. Le balcon était trop proche de la plage et des fusées, aussi les photos n’avaient rien donné, mais le papi s’était fait brulé par les éclats du bouquet final. Ce que préférait le gardien, un ancien militaire, c’était le “tchouktchouk”, le petit train comme l’appelait l’artificier célèbre. “Et que ça pétaradait ! C’est toujours pareil, mais on s’en lasse pas.”

  L’homme à la crinière affirmait jovial, que les coeurs formés avaient sa préférence, “uniques au monde, c’était marqué dans le journal”, non pas par romantisme, mais parce que certains lui rappelait un membre masculin, pénis et testicules et tout, et que cela l’amusait grandement de voir la foule, enfants et grands-
parents inclus, applaudir ces merveilles de la pyrotechnie. Et de partir tous les deux d’un grand rire. “Et qui c’est qui va devoir balayer la terrasse de tous les déchets des fusées. Une tonne de carton je vous dis, et même l’autre fois, j’ai ramassé deux bouts de métal”, affirma le concierge.

  Les deux hommes enchainèrent ensuite sur la sublime russe qui avait lancé des travaux pharaoniques. “Du chauffage par le plafond, je vous que ça ! Et la salle de bain et le dressing, mazette, vous devriez voir ça !” L’homme à la crinière semblait dubitatif, demandant à quoi servait un chauffage par le plafond à part enrichir l’architecte de Biarritz bien connu pour être une fieffée crapule ne respectant jamais ses délais. Le gardien très sérieux répondit que c’était pour chauffer de manière équilibrée du sol au plafond.

  Mon camarade de la salle de sport éclata de rire de nouveau : “Comme ça, la princesse, elle sera chauffée des orteils aux cheveux pareil ! Un truc de dingue quand on pense qu’elle ne viendra que l’été.” Ils enchainèrent sur la petite dame du troisième qui faisait garder son chien par le gardien, et sa cave pléthorique, comme si elle avait peur de manquer suite à la guerre, n’importe quelle guerre. “Quel gachis !” affirma le concierge en mentionnant les kilos de conserves de l’épicerie fine jetés chaque année par sacs entiers. Elle avait de très grand crus, mais le concierge d’avant n’avait hélas hérité que d’une bouteille qui avait le goût du vinaigre quand il était parti à la retraite. “Pouah ! Tout ça pour ça.”

  Je pensais à la vieille dame aigrie de la salle de sport, qui avait aussi ses marottes. Je me faisais la réflexion qu’il n’est pas aisé de bien vieillir, sans devenir égoïste ou aigri. Le gardien mentionna le vieux monsieur du quatrième qui avait fini la donation à son fils. “Quatre vingt treize ans, et à part la sciatique qui l’a cloué au lit, bon pied, bon oeil. Le fils se ramène. Comme dit son père, il vient compter les petites cuillères, maintenant qu’il est propriétaire. Hahaha! Y’en a, ils manquent pas d’air.” Le gardien raconta pour la centième fois l’anecdote de l’avocat du troisième qui était sur son trône à lire son journal, sur ses toilettes dans le couloir, quand les nouveaux locataires avaient fait irruption, pensant que c’était le placard à balais. Vexé, il avait commandé des travaux pour un sanibroyeur, se jurant de ne plus jamais perdre la face. “La tête qu’il devait faire face à la petite dame !’ Ils enchainèrent sur les travaux du marché en doutant de la capacité du parking à aider à la circulation du quartier. “Oui, mais ils vont faire des chambres froides en dessous des Halles. Bon, tous les commerçants vont devoir partir sur la grande route pour quelques mois, finis les tapas cet hiver, c’est trop loin, il faudra prendre la voiture là !” L’architecte (puisque je savais qu’il était architecte) répliqua au gardien que bien évidemment les travaux seraient finis pour l’été puisqu’il s’agissait de chiffre d’affaires pour l’ensemble des commerçants, et qu’ils étaient entre gars du coin, avec les mêmes intérêts.

  J’allais partir quand je les entendis parler du petit bonhomme étrange du premier. “Il est tout petit. Vraiment, vraiment petit ! Et musclé avec ca ! Il a l’air toujours en rogne, mais je crois que c’est son nez de boxeur un peu cassé, et ses gros sourcils. Des yeux coupés à la serpe, noirs, il fait presque peur quand on le connait pas. Mais gentil et poli sinon. C’est pas comme Madame Leblanc a qui j’ai du répondre, je suis pas à votre service, mais à celui de la copropriété, comme ça, devant tout le monde. Faut dire, elle m’avait cherché, elle voulait que je recharge son poivrier, le troisième, il n’y a que celui là qui lui aille. Elle a un petit grain, je vous dis.”

  L’homme à la crinière avait réfléchi, puis exprimé qu’il me connaissait de la salle de sport, et que j’étais un gars bien. “Pas lisible facilement, mais un chic type. Faut savoir l’aborder. Y’a des jours avec, y’a des jours sans.”

  Je me suis remis à respirer. J’ai monté deux à deux les escaliers sur la pointe des pieds pour ne pas être vu.

  Je ne pensais pas que l’avis de quelqu’un d’autre pouvait compter à mes yeux. J’étais à la fois déçu et satisfait.

  Biarritz Août 2012

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